Chronique Réflexions
Le vieil homme sur mon chemin
C'était au printemps il y a maintenant quelques années, en tournant un coin de rue dans mon quartier, j'ai aperçu un vieux monsieur sur le trottoir un peu plus loin et dos à moi qui s'appuyait sur un poteau de signalisation. Prenait-il simplement un peu de repos afin de diviser sa marche en deux? Ou était-il pris de tournis, désorienté ou même, perdu? Je me suis approché de lui en accélérant le pas, et juste avant que je ne l'accoste, il s'est remis en route. Je n'ai pas pris de chance et j'ai continué mon approche pour m'informer de lui. «Est-ce que ça va, monsieur?»
Il était effectivement à bout de souffle et de répondre à ma question en marchant semblait exiger beaucoup d'effort de sa part. «Je n'ai pas marché de l'hiver, qu'il m'avoue avec un petit sourire, et à mon âge, le corps ne suit plus autant...» Oui, effectivement! Je décide donc de demeurer avec lui, en marchant à ses côtés pour m'assurer qu'il ne va pas s'écrouler ou du moins, pour être son poteau de fortune advenant qu'il en ait encore besoin.
Je marche à ses côtés en gardant une distance sécuritaire avec lui au cas où, mais j'essaye de ne pas être trop intrusif. Après tout, on ne se connait pas et mes bonnes intentions ne sont peut-être pas les bienvenues pour lui. Peut-être même que notre différence d'âges et mon apparence plus jeune me donne l'impression d'être un petit voyou à ses yeux. Qui sait...!?
Il semblerait que non. Il était plutôt en confiance et pour preuve, il me lance entre deux respires pas si faciles: «ma femme vient de mourir». Pendant que ses yeux se remplissent d'eau et qu'il m'esquisse un sourire déformé par sa peine très vive, mes yeux à moi expriment toute ma surprise et mon désarrois. Il reprend son souffle puis continue: «Pas ce dimanche-ci, mais l'autre d'avant. Les médecins l'on pluggée sur des machines, mais ça servait à rien. Tsé quand tu t'améliores pas pis qu'y a rien à faire...»
Avec ses larmes aux yeux et ce sourire de vieil homme fier qui ne veut pas pleurer sa peine devant un parfait inconnu, un autre homme en plus, il marchait comme il pouvait à mes côtés. Comme si d'avancer, c'était tout ce qu'il avait à faire. Et durant les cinq minutes où nous avons partagé notre route et quelques silences de respect pour sa femme et sa peine, j'en ai profité pour le faire parler un peu...
Il m'a raconté quelques moments marquants de ses premières années de mariage avec elle, il y a un peu plus de 60 ans : «On s'est mariés en 1950. Je gagnais 58 cents de l'heure dans ce temps-là. Ça faisait 38 dollars par semaine pis mon loyer me coûtait 62. Quand on s'est mariés, j'ai pris le loyer de mon beau-frère sur la 5e. J'ai toujours habité dans le quartier... Je n'ai jamais manqué de travail» comme pour me signifier qu'il était un travaillant.
Une fois arrivés à l'autre extrémité de la rue, sa posture me laissait entendre que nous allions nous quitter là. Moi j'aurais certainement été le reconduire jusque chez lui, histoire de m'assurer qu'il s'y rende, mais bon, ce n'était pas moi qui décidais, on dirait. Toujours avec son sourire, il me lança un sincère «Ça m'a fait plaisir de vous rencontrer», et moi de lui renvoyer la pareille. On s'est serré la main et il a tourné les talons dans la direction opposée à la mienne pendant que je le regardais s'éloigner. Au revoir monsieur. J'espère que vous irez mieux...
«Toute vie véritable est rencontre.»
- Martin Buber
Olivier Turcotte
Thérapeute
514 831-9936
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olivierturcotte.com
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