Chronique Réflexions

Le chat et la dame de ruelle

Du haut de mon bureau au deuxième étage de la maison, par la fenêtre, mes yeux ont accès à la riche activité de la ruelle derrière chez moi que l’on peut observer tout au cours de l’année. À part le mouvement des saisons, il y a bien sûr les voitures, les voisins, leurs chiens, les vélos, les passants, les enfants, les oiseaux, les écureuils et une bonne demi-douzaine de chats.

Avec les années, j'ai appris à identifier les membres de cette communauté féline au point de savoir où chacun d’eux "habitent"… sauf pour un en particulier qui est apparu il y a quelques années dans le paysage. Tout ébouriffé, cotonné et boiteux qu’il était, il n’avait pas l’air en santé et n’avait ni domicile, ni propriétaire pour prendre soin de lui. Avait-il été abandonné ou était-il né ainsi, je n’en avais aucune idée?

«La nature n'est qu'un spectacle de bonté.»
- Arthur Rimbaud

À peu près dans la même période cette année-là, j’ai commencé à remarquer et suivre les allées et venues d’une femme, mi-quarantaine, très maigre. Sans avoir l’air d’une sans-abri, elle portait généralement le même linge, elle avait les cheveux courts et les traits beaucoup trop tirés pour avoir l’air en santé. Elle passait plusieurs fois par jour derrière chez moi dans une direction puis dans l’autre, quelques dizaines de minutes plus tard.

À tort ou à raison, je me suis rapidement fait une idée sur elle: elle devait être une junkie, héroïnomane ou cokée! L’autre option, c’était qu’elle était une anorexique dans un état très grave et avancé. Mais l’hypothèse de la consommation faisait beaucoup plus de sens étant donné ses déplacements quotidiens que je m’étais imaginé être entre chez elle et son fournisseur. À tort ou à raison, j'avais pitié pour sa misère si loin de moi, mais si près en même temps.

«Les préjugés viennent de l'oeil et non du coeur.»
- Marquis Quirion

Puis, un jour de printemps où la neige n’avait pas encore commencé à fondre, j’ai vu cette dame arriver de l’un de ces périples quotidiens. Cette fois, par contre, plutôt que de passer tout droit, elle s’est arrêtée derrière chez moi. Elle s’est penchée jusqu’à presque s’asseoir dans la neige aux abords de la ruelle puis, j’ai vu le chat tout ébouriffé, cotonneux et boiteux rapidement s'amené vers elle. Ils avaient une connexion que je n'avais jamais remarquée.

Après l’avoir flatté quelques instants, je l’ai vue sortir de sa poche une "canne" de nourriture pour chat qu’elle a ouverte pour lui offrir. Comme n’importe quel être affamé, le petit animal s’est jeté tête première dans son festin. Et pendant les quelques minutes suivantes, la dame restait là, à côté de lui, le regardant patiemment, l’air de le protéger par sa présence et sa bienveillance tout à fait gratuites.

«On peut allumer des dizaines de bougies à partir d'une seule sans en abréger la vie. On ne diminue pas le bonheur en le partageant.»
- Le Bouddha

Ce chat a depuis disparu du paysage de la ruelle derrière chez moi, mais je vois la femme encore parfois. Elle n’a pas vraiment changé depuis ces quelques années. J’ai longtemps voulu sortir de chez moi lorsque je la vois passer pour lui dire à quel point j’avais trouvé son geste beau, mais une espèce de peur me retennait de le faire. Depuis ce temps, j’avais en tête de lui rendre hommage de cette façon.

«Connais Celui qui habite ton cœur et tu comprendras le cœur de chacun. Connais Celui qui occupe ton esprit et tu Le reconnaîtras dans l’esprit de chacun. Connais Celui qui imprègne ta vie et tu Le rencontreras dans la vie de chacun. Reconnais la Divinité en toi et tu aspireras à la voir en autrui. Et bientôt tu seras capable de la voir en tout un chacun.»
- Swami Chidvilasananda

Olivier Turcotte
Thérapeute
514 831-9936
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olivierturcotte.com


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